Château de Chambord
Programme archéologique Caillou & Hofbauer

Retour vers 1519 : l’ouverture du chantier

Retour vers 1519 : l’ouverture du chantier

« Bon, vertueux et nottable personnaige, en ce cognoissant, expérimenté et en qui avons toute seureté et fiance …, confions à plain à vos sens, prudence, loyauté, preudhommie, diligence et longue expérience …, superintendance d’un bel et somptueux édiffice au lieu et place de Chambort … selon l‘ordonnance et devis que nous en avons fait ».

La lettre élogieuse par laquelle François 1er nomme le superintendant des travaux est datée du 6 septembre 1519. Elle constitue le plus ancien document connu ayant trait au château de François Ier à Chambord. Son destinataire n’est pas un inconnu : François de Pontbriand est un habitué des chantiers royaux de Louis XII à Loches et à Blois, où il est également chargé par François 1er de la surveillance du chantier des nouvelles constructions.

Couvert d’honneurs, le Grand Chambellan de la Reine pressent-il que ses soixante huit ans bien sonnés s’accommoderont mal de la complexité sans équivalent de cette nouvelle chimère royale ? Il renonce à sa nouvelle charge dès réception de la missive, et la délègue à Mathurin Viart, un maître des comptes ayant contrôlé à Blois quelques travaux conduits par le maître maçon Jacques Sourdeau, qui se voit également – et tout aussi provisoirement - embarqué dans l’aventure chambourdine. Tous deux meurent en effet dès 1522, et sont remplacés par Nicolas de Foyal au titre de superintendant et Pierre Nepveu (dit Trinqueau) en qualité de maître maçon. Ce dernier sera maintenu en poste lors de la réorganisation profonde du chantier à laquelle François Ier procèdera à nouveau en octobre 1526 au retour de sa captivité en Espagne, après vingt-sept mois d’interruption des travaux.

CHAMBORD-FELIBIEN-Facade

La façade arrière du château, dessinée par Félibien vers 1681.

S’il est tentant de mettre les anomalies du plan en regard de la valse des superintendants et des maîtres maçons qui se succèdent à la tête du chantier, le rôle prépondérant du roi lui-même dans les multiples changements de direction apportés au projet d’origine ne doit pas être négligé. En effet, l’intérêt du roi bâtisseur pour son « astelier de Chambort » est marqué dès 1519 par la présence de François 1er sur le site du futur palais, du 8 au 10 octobre. L’examen de l’espace à délimiter pour la constitution du parc et le piquetage des frontières du domaine sont aussi effectués « par nous-même, et en nostre personne ». Par la suite, les visites répétées du monarque sur le chantier se traduisent par des injonctions et des encouragements financiers en direction des ouvriers, afin qu’ils « fussent plus enclins à …. faire dilligence audict ediffice », ainsi que par des apports personnels déterminants à la redéfinition constante du programme architectural.

A cet égard, on ne peut qu’imaginer l’effroi des maîtres maçons et des ouvriers à l’approche de chaque nouvelle visite royale, éternelle occasion pour le prince de reconsidérer les plans, d’insuffler au projet de nouvelles directions, voire d’entrer devant les lenteurs ou les maladresses de l’exécution dans l’une des colères tonitruantes qui contribuent déjà à sa légende. La capacité de l’équipe du chantier à interpréter correctement les intentions royales peut aussi être mise en question. Elle trouve un écho vraisemblable dans la correspondance de Marguerite de Navarre, lorsque la sœur aînée de François 1er confie dans un courrier à son frère nomade : « voir vos edifices sans vous, c’est ung corps mort, et regarder vos bastiments sans ouïr sur cela vostre intention, c’est lire en esbryeu ».

 

A la recherche du passé

Chambord-Latrines-Coupe

Coupe (erronée) du système de latrines d’une tour, d’après Jean-Louis Delagarde. Les grandes fosses ne sont pas couvertes d’un plafond droit, mais d’une voûte en berceau.

Tout indique que le difficile choix de rompre avec la symétrie du projet initial est arrêté tandis que les soubassements du donjon sont en cours d’exécution, quelque part entre 1519 et le départ de François 1er pour Pavie en juillet 1524. La date et la raison de cette décision majeure – qui bouleversera irrémédiablement le visage de l’édifice final – sont difficiles à approcher par l’étude des archives. Celles qui se rapportent aux premières années du chantier sont peu nombreuses, et n’apportent que peu d’enseignements sur la nature des travaux engagés. Deux rôles de salaires de septembre et octobre 1522 détaillent sans grande précision des journées de menuisier, charron, chaufourniers, bûcherons, maréchal, jardiniers et manœuvres : une minuscule équipe de vingt-deux personnes à laquelle il faut ajouter quelques vingt-et-un maçons payés quatre sols et six deniers par jour … pour des travaux dont on ignore tout.

Toutefois, deux sondages opérés vers 1980 au pied de la tour sud du donjon ont révélé une intéressante stratigraphie des fondations. Elle indique que les premières équipes vaquèrent d’abord au raffermissement du sous-sol instable par l’enfoncement d’un pilotis de pieux de chêne, et y établirent le radier qui sert de plateforme à l’édifice entier. En immersion constante à 5,20 mètres de profondeur, le radier de pierre et de mortier fut recouvert d’un lit de chaux pure, et dut être rechargé par les terrassiers à plusieurs reprises. Les maçons enserrèrent ensuite sur ces puissantes fondations les fosses du système de latrines du futur donjon, dans ce qui deviendrait ainsi le sous-sol du château. Ces salles constituent ainsi les premières véritables maçonneries du château. Dès lors, elles revêtent une importance majeure pour quiconque cherche à s’approcher des premiers instants de la construction.

Par chance, elles sont demeurées accessibles. Représenté par une coupe schématique dévoilant les deux fosses souterraines d’une tour, le système de latrines paraît même bien connu et documenté.

 

Une piste inexplorée

En 1993, Jean-Marie Pérouse de Montclos ressuscite l’hypothèse de Michel Ranjard dans un article du Bulletin Monumental qui enthousiasme quatre jeunes passionnés d’architecture travaillant ou fréquentant le château. C’est ainsi que nous entreprenons avec éric Johannot et Emmanuel Roy de nous approcher – par le biais de ces latrines – des origines de la construction. Contre toute attente, nous découvrons que cette démarche élémentaire n’avait jamais été entreprise.

Lors des premières explorations, il faut ainsi peu de temps pour s’apercevoir que les dessins connus sont tout à fait faux. Par ailleurs, devant parfois déplacer des gravats qui en obstruaient l’accès, force est de constater que certains espaces dans lesquels nous pénétrons ont été aussi peu étudiés qu’ils n’avaient été visités. En réalité, l’étude approfondie de ces espaces souterrains – négligés jusqu’alors – se révèle rapidement riche en surprises et en enseignements inattendus.

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Suite ...

 

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