Château de Chambord
Programme archéologique Caillou & Hofbauer

Les Mémoires d’André Félibien

Les Mémoires d’André Félibien

Extrait des Mémoires pour servir à l’histoire des maisons Royalles et bastimens de France

Le chasteau de Chamborg est situé à quatre lieues de Blois, dans une plaine où passe la petite rivière de Cousson, qui vient de la Sologne et va se rendre dans la Loire. C’estoit autrefois une maison où les anciens comtes de Blois alloient prendre le divertissement de la chasse, et où ils faisoient souvent leur demeure, ce qui se voit par plusieurs tiltres donnez à Chamborg dès le douxième siècle. Il y en a un de l’année 1190, par lequel Tibault, surnommé le Bon, Comte de Blois et Sénéchal de France, fait de grands dons aux religieux de Bologne de l’ordre de Grandmont. Le chasteau n’estoit pas alors considérable par sa structure, mais il y avoit un gros bourg, et une église collégiale, que le Roy François 1er fist démolir avec les anciens bastimens.

Quand il eut résolu de faire bastir, il commença par acquérir plusieurs bois et autres héritages, nécessaires à l’augmentation du parc, qu’il vouloit faire clore, et au milieu duquel le chasteau de Chambord est enfermé.

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Relevé de l’état du château par André Félibien vers 1681.

Il fist aussy faire plusieurs desseins pour le bastiment avant que de rien entreprendre. Quelques uns ont cru que Vignole estoit l’autheur de celuy qu’on a suivy ; mais c’est mal à propos qu’on a eu cette pensée, car il n’y a rien qui ait rapport à la manière de cet architecte, qui ne vint en France que quand le Primatice retourna de Rome, où le roy François 1er l’avoit envoyé, en 1540, pour y faire mouler les plus belles antiques et faire achapt de quelques statues.

D’autres ont pensé plus probablement que celuy qui en donna le dessein et qui conduisit l’ouvrage estoit de Blois, et demeuroit dans une maison qui appartient aujourd’huy à M. de Fougère, parce que cette maison est bastie du temps et à la manière de Chamborg, et que ce fut là qu’il fist un premier modelle du chasteau pour le montrer au roy. Il est vray que l’on voit encore dans la même maison un modelle de bois assez bien taillé, et dont chaque face à quatre pieds de long. Véritablement il est tout rompu et gasté de pourriture, faute d’avoir esté conservé. Cependant, sur les morceaux qui en restent, et que l’on a rapportez les uns auprès des autres le mieux qu’il a esté possible, on en a fait le plan et les élévations par lesquelles on peut juger de l’intention de l’architecte et de la différence de cette pensée à ce qui a esté executé.

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Plan et élévation du « modelle du chasteau » retrouvé par Félibien vers 1681.

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Ce modelle représente un grand bastiment quarré ayant quatre tours aux quatres coins et quatre principaux appartemens, separez par l’escalier et par trois grandes sales qui, avec la place de l’escalier, font une croix. La quantité des pièces, et leur distribution approche beaucoup de ce que l’on voit d’éxecuté à Chamborg, hormis l’escalier du modèle qui est tout différent de celuy de Chamborg ; car on le rencontre dès l’entrée du bastiment et lorsqu’on a traversé un vestibule, qui a deux passages ou espaces de galleries sur la face du Chasteau. Cet escalier est double jusques au premier estage, c’est à dire qu’on trouve deux rampes, l’une à droite et l’autre à gauche, et, parce que l’on entre dans le vestibule par trois portes, l’une au milieu et les deux autres aux costez, les rampes sont vis à vis les rampes de costez, et le milieu sert de passage qui conduit aux appartemens bas, où on trouve trois grandes sales qui les dégagent. Il y a de semblables logemens aux estages d’en hault ; mais, pour monter du second estage au troisiesme, l’escalier n’a qu’une rampe qui s’élève au milieu de deux passages, qui servent pour la communication des logemens qui sont sur la face du devant.

Ce modelle a trois estages. Aux costez des portes de la face du devant, il y a deux espèces de petites tours, qui sont à pans et qui s’élèvent jusques au hault du bastiment. Toutes les fenestres sont percées en arcades, comme on peut voir par les trois différentes élévations, qui représentent la face du devant, celle qui luy est opposée et celle des deux costez. Cependant on doit juger par ce modelle comme les premières pensées ne sont pas toujours suivies, mais qu’elles sont très souvent ou rejetées ou rectifiées.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que dans ce temps là on estoit encore tellement accoustumé à accompagner les chasteaux de tours et de tourelles, qu’encores qu’elles causassent de grandes irrégularitez dans la distribution des appartemens et beaucoup d’incommodité dans les lieux particuliers, néantmoins on souffroit tous ces deffauts et l’on songeoit moins à la beauté extérieure et aux desgagemens du dedans qu’à conserver cet ancien usage de donjons et de tours, qui faisoient alors la force et la beauté des chasteaux.

Aussytost que François 1er eust arresté le plan et les élevations de cette magnifique maison, il commença d’y faire travailler, et, comme l’entreprise estoit considérable, Sa majesté commit Mre Charles de Chauvigny, chevalier, Sr de Murat, pour ordonner des ouvrages et des payemens qu’il conviendroit faire, ainsy qu’il est porté par les Lettres de Sa majesté, données à Chamborg le premier Octobre 1526, lesquelles luy attribuent 1200 l. de gages pour chacun an.

Le mesme jour le Roy, par autres Lettres, commist aussy Me Raymond Forget, secrétaire de la Reyne de Navarre, Duchesse d’Alençon et de Berry, pour faire les payemens suivant les ordonnances, rolles et mandemens du Sr de Chauvigny, et sur les controlles et certifications du controlleur ordonné par Sa majesté, pour exercer cette charge par le Sr Forget aux gages et taxations telles que par Sa majesté et par les Gens de ses Comptes, ou autres ayant pouvoir d’elle, luy seroient reglez, et aux proffits et émolumens accoustumez, pour lesquels gages luy fut ordonné par Mrs des Comptes 1200 l. par an.

Par autres Lettres patentes, données à Paris le 23e juin 1528, S. M. commist Anthoine de Troyes pour assister, voir et faire le controlle de la Dépense des bastimens de Chamborg, signer vérifier et calculer les roolles, ordonnances et marchez, passer quittances, et généralement tout ce qui pourra estre fait par le commandement et ordonnance du Sr de Chauvigny, pour l’exercice de laquelle commission ses gages furent reglez à 365 l. pour une année.

Le 10 avril 1539, le Roy commist à l’exercice du controlle Me Jean Grossier, au lieu et place d’Anthoine de Troyes, et de Pierre Trinqueau, parce que de Troyes avoit quitté la commission dès le dernier mars 1536, à cause du marché et entreprise par luy faite des tours et pavillons quarrez du donjon de Chamborg, suivant le marché passé par devant Landry, nottaire à Tours, le 29e mars 1536 entre Me Philbert Babou, Sr de la Bourdaisière, Conseiller du Roy, et ayant la charge de Sa Majesté. A l’esgard de Trinqueau, il estoit déceddé le 26e aoust 1538.

Le 26 decembre 1539, le Roy, par ses lettres données à Fontainebleau, commit, pour tenir le compte et faire les payemens, Me Nicolas Pelloquin au lieu et place de Raymond Forget, lequel Pelloquin presta serment à la Chambre des Comptes le 10e Janvier 1539 et donna caution.

Il paroist qu’en l’an 1541 le Sr de la Bourdaisière avoit encore l’intendance sur les bastimens de Chamborg et que le gouvernement du chasteau et le maistre maçon, nommé Jacques Coqeau, avoient soin de l’avertir et de luy rendre compte de ce qu’il y avoit à faire, et pour cet effet luy envoyoient homme exprès à Fontainebleau, ou la Cour estoit.

Le 9 juin 1541, le Roy par ses lettres patentes données à Annet, commist Damlle Anne Gedouin, veuve de Mre Jean le Breton, Seigneur de Vilandry, Conseiller du Roy et secrétaire des Finances, pour, avec le Controlleur des bastimens de Chamborg et Jacob Coquereau, Me maçon, faire tous les devis et marchez desdits bastimens.

Et, le 23e may 1545, le Roy, par autres Lettres expédiées à Chasteaudun, donne à la demoiselle de Villandry la conciergerie, charge et garde des chambres et meubles du chasteau de Chamborg.

Il se voit que la despense de ce Chasteau, depuis que le Roy François 1er le fist commencer jusque l’an 1547 que ce Prince mourut, monte à la somme de quatre cens quarante quatre mil cinq cens soixante dix livres, six sols, quatre deniers tournois, qui est une somme très considérable, si l’on fait attention au prix de l’argent et à la valeur des matéreaux et peine des ouvriers de ce temps là.

Car, premièrement pour ce qui regarde les ouvriers, Guillaume Boutroüe, qui tenoit le compte des tombereaux de moilon, n’estoit payé qu’au prix de quinze sols par jours.
Pierre Trinqueau, qui estoit le maître maçon et qui avoit la charge et la conduite des bastimens, estoit payé à raison de 27 s 6 d. par jour.
Denis Gourdeau (Sourdeau), qui avoit la conduitte des traits de maçonnerie desdits edifices, vingt sols.
Les appareilleurs, 10 sols.
Il y avoit plusieurs autres maçons et appareilleurs à divers et moindre prix, comme à 6 s. 3 d., à 6 s., à 5 s.
3 d., à 5 s., à 4 s. 6 d., et à 3s. 2 d.
Les sculpteurs en pierre, qui entreprennoient de tailler les chapiteaux, avoient par chaque chapiteau
27 s. 10 d.et, pour la taille des rouleaux, 10 s.
Pour les marches de pierre dure, 7 s. 6 d. de la pièce.
Pour la taille des grandes marches de pierre dure de la pierrerie de Chilly, de 8 pieds et demy de long au prix de 25 s. la pièce.
Pour la taille des quartiers de pierre de Bourré,
39 s. 7 d. du cent.
A Pierre Tarsien, natif de Novare dans le Milanois, que le Roy avoit faire venir à Chamborg pour faire porte batteau à la rivière du Cousson, 10 s. par jour, fêtes et dimanches.
Les scieurs de long, 4 s. 10 d.
Les manœuvres à tourner les grues, 4 s. 2 d.
Les manœuvres à porter le taillard, 3 s.
Il y avoit d’autres manœuvres, à 2 s. 6 d.
Les menuisiers, mareschaux et charrons au prix de 5 s. par jour ;
les bûcherons, 3 s. 4 d.
les maistres charpentiers, 7 s 6 d.
les autres charpentiers, 5 s. et 4 s. 2 d.
Aux jardiniers, à raison de 5 s. par jour,
pour les charrois à trois chevaux, 15 s par jour.
Ceux à deux chevaux, 10 s.
Charrois pour mener le sable à l’attelier, 12 deniers pour chaque tombereau.
Aux chaussoniers pour chaque fournée de chaux, 60 s.
A un marchand de Blois qui a fourny à l’attelier une fournée de chaux, 15 l.
Pour les tombereaux de moislon livrez sur le lieu, au prix de 12 l. 10 s. le cent.
La pierre de Saint-Aignan, à raison de 20 s. le grand bloc.
Autre pierre du même lieu, à raison de 10 s.
Les planches et les ais de sciage, à raison de 5 s.
6 d. la thoise.
Au serrurier, pour les pièces de fer pour servir au bastiment, à raison de 11 d. la livre.
Pour le cloud du grand Gien, 25 s. le milier
Pour le cloud de demy Gien, 12 s. 6 d.
Pour la grande broquette, 10 s. le milier
Le cloud pour l’ardoise, 5 s. le milier
Le charbon, 15 d. le sac.
Aux couvreurs pour les goutières, au prix de 10 s. la thoise
Et, pour les tables de plomb, au pris de 12 d. la livre.
A Lazare Chanet, batteur d’or, payé en 1541, 18 l. du milier d’or employé à dorer la plomberie du donjon.
Hameau, Bonneau, et d’autres charpentiers entreprirent et firent les ouvrages de charpenterie de donjon et des tours du chasteau.

Sa majesté avoit commis Paul de Breignan, Italien, pour destouner les eaux qui estoient à l’entour du chasteau et les assemble en un canal, et, pour cet effet, luy ordonna 25 l. de gages par mois.

Breignan fit plusieurs voiages à la Cour, pendant la maladie dont le Roy mourut, et eut ordre d’achever le canal ; mais, lorsque Henry II fut parvenu à la Couronne, il y eut des changemens, et, quoy que l’on continuast de travailler à Chamborg, les bastimens n’avançoient pas comme auparavant. Il est vray que François 1er avoit mis le donjon presque entièrement en l’estat qu’on le voit, et, lorsque l’empereur Charles V passa en France en 1540 et qu’il vit cette maison, il l’admira d’autant plus qu’il voyoit que, nonobstant les grandes dépenses que le Roy avoit esté obligé de faire pour entretenir des armées si nombreuses, cela ne l’avoit pas empesché de faire bastir plusieurs grands édifices.

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