Selon la pensée antique, l’univers est régi par les règles invariables de l’arithmétique et de la géométrie. Afin d’être à l’image d’un monde perçu comme ordonné et d’en refléter la perfection, toute oeuvre d’art se doit d’être gouvernée par ces mêmes lois. L'architecture n’échappe pas à cette conception universelle de la beauté, et la place accordée aux notions de symétrie, de modularité ou d’harmonie des proportions est manifeste dans les nombreux vestiges de l’Antiquité grecque et romaine. Ces édifices anciens exercent alors une influence profonde sur les humanistes et les artistes de la Renaissance.
Ainsi, les nouveaux architectes et « deviseurs » de châteaux ne conçoivent plus la forme d’un bâtiment en fonction de considérations stratégiques et militaires, ou selon les accidents du terrain. Ils s’attachent à une vision d’ensemble du plan considéré comme une œuvre en soi, une forme où les proportions et la position de chaque partie sont assujetties à l’ensemble.
Ainsi, « uniformité, symétrie et due proportion rendent choses délectables à voir, et décorent tout édifice humain » (Vitruve).
Dans le val de Loire du XVIème siècle naissant, les tentatives formelles les plus prometteuses ne sont pas l’œuvre du roi. Elles s’expriment dans les plans modulaires du château de Bury, construit en 1511 à l’initiative de Florimond Robertet, ou du château de Thomas Bohier à Chenonceau. Les premières expériences architecturales de François 1er qui voient le jour à Amboise et Blois paraissent, en regard, bien maladroites. Cependant, quatre ans après le chantier de Blois, les fabuleuses dispositions du nouveau palais à Chambord constituent enfin une innovation royale sans précédent. Elles composent une architecture savante - et cérébrale - sur laquelle plane l’influence des architectes italiens les plus novateurs - tels Francesco di Gorgio ou Léonard de Vinci, seuls auteurs connus de dessins de palais à plan centré (non réalisés) avant Chambord.
En effet, premier édifice civil français à plan centré, le donjon de Chambord qui sort de terre dans les années 1520 s’apparente à un immeuble d’appartements moderne. A chacun des trois niveaux principaux, les volées parallèles de l’escalier central desservent quatre vestibules disposés en forme de croix. Ces vastes salles donnent accès à quatre cantons d’appartements identiques, abritant chacun deux logis. Le plus grand occupe l’espace carré entre deux vestibules, le second s’inscrit - tant bien que mal - dans le volume circulaire d’une tour. Les cinq niveaux habitables du donjon abritent ainsi quarante unités d’habitation indépendantes, réparties selon ces deux modèles.
En dépit de son apparence féodale, le plan du donjon est basé sur l’emploi de figures géométriques d’une grande pureté. Il est manifeste que des règles de symétrie et d’organisation fonctionnelle régulière ont présidé à sa conception, tant son tracé orthogonal est construit selon une grille modulaire fixant les rapports dimensionnels des divers éléments et régissant leur localisation. Carrés, cercles, croix grecque, rectangles au nombre d’or se déploient autour du cercle formé par l’escalier central.
Ce dernier s’inscrit lui-même dans un carré de 4 toises ½ de côté, qui constitue le « module » de l’édifice entier. Cet élément de base se divise autant que nécessaire pour former une pièce, une galerie, et se multiplie pour former un logis, un vestibule ou le diamètre d’une tour d’angle… Le donjon de Chambord occupe ainsi une grille orthogonale de 7 x 7 modules identiques et répétés. Lors de l’extension du projet par l’ajout de deux ailes et d’une enceinte, le périmètre de l’édifice final sera défini relativement à ce corps de logis central, l’intégrant dans un rectangle aux dimensions proportionnelles au « dangeon » primitif.
Toutefois, cette perfection a ses limites. Abstraction faite des irrégularités de détail et des maladresses de l’ordonnancement balbutiant des façades, le coup de grâce est porté par l’orientation discordante de l’un des quatre cantons du donjon, dont la disposition anarchique bouleverse autant la symétrie du plan que celle des façades. La façade d’entrée s’en voit particulièrement affectée et, dans un édifice où la volonté initiale de symétrie est évidente, cette irrégularité apparaît comme une anomalie sérieuse.
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