La réputation de Chambord franchissait les frontières de l’Europe dès l’époque de sa construction. En 1532, le château de François 1er, loin d’être achevé, connût néanmoins la gloire littéraire dans Gargantua en inspirant François Rabelais dans sa description de l’abbaye de Thélème. L’impression que laissa l’édifice sur Marie de Hongrie en 1555, par la voix de son frère l’Empereur Charles Quint, fut telle qu’elle commanda deux copies des précieux plans pour son propre compte.
Aussi, il est difficile d’admettre que malgré sa réputation mondiale, le château de Chambord demeure un édifice obscur et méconnu. En effet, les chercheurs d’hier et d’aujourd’hui doivent composer avec une handicapante carence documentaire, héritée d’un temps où l’administration centrale des bâtiments du roi n’existait pas encore, et affronter une triste réalité : les archives relatives à la construction de Chambord ont disparu.
Cependant, les documents originaux ont bien existé. André Félibien les a compulsés vers 1680 et en a livré dans ses Mémoires pour servir à l’histoire des maisons royales de précieux éléments relatifs à l’organisation du chantier, au nombre d’ouvriers et à leurs émoluments, à la provenance des matériaux de construction… Toutefois, à cette époque déjà et en dépit de l’accès aux sources, la question de la conception architecturale - et de son origine - demeurait entière : quel fut le projet de 1519, et qui en fut l’auteur ?
Dans le courant du XVIIIe siècle, après le rattachement de la Chambre des comptes de Blois à la Chambre de Paris, les archives furent victimes d’un tri fatal, en raison du manque de place dans le nouveau dépôt qu’on leur destinait. Dans le cadre du déménagement, les registres de comptes furent tout simplement détruits. D’autres pièces, dispersées entre des collections privées, réapparurent pour partie au siècle suivant dans des collections publiques … Pour l’essentiel, les documents pouvant être retrouvés furent compilés vers le milieu du XIXe siècle par Louis de la Saussaye, Louis Jarry et, surtout, Joseph de Croy qui étudia minutieusement les détails de la dispersion.
La question de l’origine demeurait alors sans réponse, et il est bien difficile de préjuger aujourd’hui de la capacité des documents originaux à y répondre. Rien n’indique, en outre, que la moisson des sources soit close et, aussi improbable qu’elles puissent paraître, les découvertes d’anciennes archives viennent de temps à autres réorienter – et re-passionner - les débats. Par exemple, un étrange plan de Chambord réalisé à main levée et figurant dans l’album de l’architecte Jean Chéreau (fin XVIe siècle) a été signalé il y a une trentaine d’années dans la bibliothèque de Gdansk, en Pologne. Pendant ce temps, la première description connue de Chambord, rédigée par le secrétaire de l’ambassadeur du Portugal Francisco de Moraes vers 1541, était fortuitement exhumée à la British Library…
Dans ce contexte nébuleux, le programme archéologique de Chambord est né en 1997 afin de répondre aux interrogations historiques pour lesquelles les archives et les textes anciens demeurent muets ou insuffisants. Le recours à la démarche archéologique a permis d’envisager une méthodologie différente, s’appuyant moins sur la recherche de documents historiques que sur l’examen attentif du bâtiment actuel, tant Chambord se pose comme sa propre source, et demeure – pour ainsi dire - l’archive de lui-même.
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