Château de Chambord
Programme archéologique Caillou & Hofbauer

L’études des signes lapidaires

L’études des signes lapidaires

Dès sa nomination le 6 septembre 1519 au titre de surintendant des travaux, François de Pontbriand se voit confier la charge de « bailler la besogne, à la toise ou à la tâche, ou de toutes autres manyères vous cognoitriez etre nécessaire ».

Et en effet, les murs du château présentent un nombre imposant de signes variés : marques utilitaires, signes d’identité et graffiti en tous genres parsèment le tendre tuffeau des parements, et ont fait l’objet d’une première approche par Madeleine Van de Winckel, qui a déposé ses relevés préliminaires et ses brouillons originaux au Centre d’études supérieures de la Renaissance, où ils peuvent être consultés. Resté confidentiel, son travail se présente comme une ébauche d’étude, qui visait sans doute à attirer l’attention des universitaires sur l’intérêt d’un examen attentif et complet de ces marques dans le contexte particulier de Chambord.

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Depuis lors, une étude complète des marques s’impose néanmoins, notamment dans le cadre de la compréhension des phases de construction, et avant que le temps ne fasse disparaître davantage ces signes discrets du fragile épiderme des pierres. Cependant, l’importance du volume de marques à traiter, ainsi que la surface considérable de parements à étudier imposent de procéder de manière progressive et de circonscrire le champ des recherches à une thématique, une zone. à ce stade, nous avons réalisé un inventaire général des marques visibles, et les signes de l’aile royale et des latrines ont fait l’objet d’études spécifiques. Mais il reste assurément beaucoup à conserver et à étudier.

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Inventaire des signe lapidaires de Chambord (relevé Dominic Hofbauer).

 

Les signes lapidaires de l’aile royale

Hormis le marquage des hauteurs d’assise, le donjon ne présente que très peu de signes lapidaires liés à cette première phase du chantier, contrairement aux ailes, aux offices bas et aux galeries. Plus que toute autre partie du château, l’aile royale est constellée de nombreux signes identitaires.

Plus difficiles à observer en façade, ces marques sont bien visibles sur les parements d’un grand nombre de pièces, galeries et escaliers de l’aile. Elles ne dépassent guère quelques centimètres en longueur, et peuvent présenter un ductus précis ainsi que des formes complexes. La tendreté légendaire de la pierre de tuffeau, calcaire siliceux proche de la craie, provenant des rives du Cher, se prête aisément au tracé de formes courbes dont le pourcentage est, effectivement, particulièrement élevé.

L’étude attentive de la répartition de ces marques a permis de préciser le phasage de la construction de l’aile, qui s’étale de 1539 environ à 1544. En outre, l’étude conjointe de ces marques, des chaînages et des joints a confirmé l’existence d’une belle « salle du roi » occupant la totalité de l’aile.

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Premier étage de l’aile royale (d’après Patrick Ponsot). Sur le second plan n’apparaissent que les murs présentant des signes lapidaires, révélant le volume initial de la salle du roi.

La disposition des marques indique qu’elle était éclairée par cinq grandes baies, et on y accédait depuis la galerie par la grande porte actuelle, dont le linteau en arc présente quelques beaux signes d’identité, ainsi que la cheminée du « haut bout » devant laquelle était dressée la table du souverain.

D’autres familles de marques se retrouvent sur les murets portant les dalles des terrasses, d’autres encore parsèment les piliers de l’escalier central malgré l’usure du temps, ou ornent discrètement les voûtes à caissons du second étage.

 

Les signes dans les fosses de latrines

A la différence des parois usées des niveaux habitables, les intrados des voûtes des fosses d’aisance présentent des marques d’outils inaltérées, particulièrement visibles sur le tuffeau originel. Les vestiges des impacts de ciseaux gradine ou grain d’orge et de polkas brettées y sont aisément reconnaissables.

Dans les grandes fosses des quatre systèmes, les parements des voûtes arborent aussi un ensemble de signes qui, à l’exception de quelques marques gravées dans la tour sud, sont tous tracés au charbon ou à la mine de plomb. Ils se distinguent ainsi nettement sur la blancheur du calcaire. Les conditions de conservation de ces signes, tracés sur les parois de salles devenues rapidement inaccessibles, leur ont permis de nous parvenir intacts, comme tracés d’hier.

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Relevé pierre à pierre de la voûte de la grande fosse de latrines, tour nord. (Frédérique LeBec, architecte DPLG))

Les marques les plus nombreuses sont constituées d’une série de signes numériques, apparentés à la numérotation romaine. Elles procèdent d’un système d’identification des blocs, dont la hauteur est standardisée. Les pierres de même gabarit portent les mêmes signes. Le château médiéval de Commarque (Dordogne), ou le grand bastion ouest du château du Haut-Koenigsbourg (Alsace) présentent des cas assez similaires.

Sur les voûtes de Chambord, l’utilisation de pierres retaillées à partir de blocs standards (notamment pour les éléments des clefs de voûtes) n’indique pas seulement que la pose demeure parfois l’objet de tâtonnements : elle confirme aussi que ces signes étaient bien tracés avant la pose. à cet égard, le tracé au charbon de bois atteste également de la fonction éminemment éphémère du marquage des pierres. D’une manière générale, l’utilisation d’éléments de série à la hauteur standardisée permet un gain de temps significatif lors de l’assemblage, en particulier lorsqu’il s’agit de monter des parements de murs aux dimensions importantes. Il est important de noter que les hauteurs des assises des niveaux supérieurs du donjon demeurent en conformité avec celles observées en sous-sol.

Par ailleurs, du rez-de-chaussée à l’étage des combles, l’observateur attentif reconnaîtra quelques vestiges de ces marques numériques, éparses et presque estompées. Leur dispersion dans le donjon suggère que le marquage au charbon des hauteurs d’assise fut un principe constant lors de la construction du donjon tout entier.

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